Samedi 24 décembre

Nous sommes donc le 24 décembre, il est 21h30 et après un long périple, le bus me dépose enfin à Campeche. Lors de mes échanges par email avec Ivan avant de venir chez lui, j’avais eu un très bon ressenti et c’est ce qui m’a poussé à venir fêter noël avec lui et à ne pas abandonner en route malgré mes péripéties de transports. C’était un pari risqué car je savais que si j’étais resté à Minca, j’aurai passé un noël très sympa en compagnie des gens rencontrés durant mon mois. J’allais donc vers l’incertitude et le trajet jusqu’à Campeche n’a fait que renforcer ce début de sentiment de regret de ne pas être resté à Minca pour le réveillon. Mais à la seconde où je rencontre Ivan, je sais que ma première impression fut la bonne, que je vais passer un bon moment ici, que ce qui aurait pu rester un moment négatif à cause du transport, s’est transformé instantanément en un souvenir marrant à raconter. Je suis arrivé à destination, je peux lâcher prise et me laisser accueillir par mon hôte.

Il m’emmène chez lui afin que je dépose mon sac et prenne une douche. Il me dit que noël est un jour particulier et qu’il faut bien s’habiller. Je sors donc l’unique chemise que j’avais emporté avec moi pour ce type d’occasion et nous voilà parti une centaine de mètres plus loin chez sa grand-mère, où le reste de sa famille est rassemblée dehors en cercle sur des chaises. La température extérieure est fraîche grâce à une petite brise tandis qu’à l’intérieur des habitations, la température peut rapidement grimper. De ce fait, chacun est devant sa maison, assis sur des chaises pour passer le réveillon de noël.

Ivan est un « couchsurfeur professionnel », dans le sens où il a accueilli plus de 500 personnes chez lui. Autant dire que sa famille et ses ami.e.s ont l’habitude de le voir avec des étrangers et donc personne ne trouve cela bizarre de me voir débarquer à près de 22 heures un soir de Noël. On me sert à manger et à boire tandis que je discute avec Emmanuel, huit ans, qui souhaite apprendre l’anglais et le français. Il me sort les quelques mots qu’il connaît dans chacune de ces langues puis demande timidement à Ivan de lui traduire d’autres questions pour ensuite me les poser… Il mélange parfois les mots entre les langues et c’est très drôle. Il y a aussi Luisa, 1 an, qui fait rire tout le monde avec son numéro de serveuse. Elle se promène avec un plateau en distribuant des crackers. Certains ont le droit à plus que d’autres. J’en fait partie pour mon plus grand plaisir.

Après le repas, Ivan m’emmène visiter la ville et rencontrer ses ami.e.s. Il connaît pour ainsi dire tout le monde et ce tour du quartier prend des proportions incroyables. Nous nous arrêtons presque à chaque maison, on nous nourrit et nous abreuves. J’accepte quelques shooters d’aguardiente (alcool fort local), malgré le fait que je n’aime pas ça, mais je ne veux pas paraître malpoli. C’est un sentiment très agréable de se sentir autant le bienvenu, presque attendu dans chaque foyer que nous croisons. La coutume ici lorsque vous croisez quelqu’un est de le saluer en disant « A Dios », qui ne signifie pas « Au revoir » (Adiós), comme je le pensais en premier lui mais bien « A Dieu ». Nous finissons la soirée à une fête en pleine rue avec un DJ et un mur de son impressionnant. Là encore, Ivan connaît de nombreuses personnes et je passe mon temps à serrer des mains tandis qu’il me présente comme un ami de France

Ici on ne lésine pas sur les watts et les décibels.

Dimanche 25 décembre

Difficile de dormir tard car la chaleur est rapidement insoutenable à l’intérieur. Hier soir, je suis arrivé de nuit ce qui fait que je découvre Campeche différemment au matin. Après un rapide petit-déjeuner, je pars explorer le village plus en détail avec Ivan. En cette période de noël, il y a des crèches partout et principalement dans la rue (comme celle en en-tête de cet article) puisque tout se passe à l’extérieur.

Une crèche dans une maison.
Une autre dans un restaurant.
Décoration avec des bouchons en plastiques sur les arbres de certains jardins.
Sculpture d’un ramasseur de prunes (souvenirs de mes étés sur l’île de Noirmoutier)

Ivan m’emmène aussi de l’autre côté de la départementale qui coupe le village me montrer un terrain qui était il y a quelques mois en friche et qui est aujourd’hui occupé illégalement par des personnes, principalement des fermiers, chassées de leurs terres. Comme quoi, les déplacements de population sont des problèmes récurrents à travers le monde. Cela créé bien évidement des conflits localement car ces personnes cherchent du travail et les habitants de Campeche voient cela d’un mauvais œil. Ils sont néanmoins très structurés et organisés en quartiers, rues, même si tout est construit de façon très artisanale, en bois et matériaux de récupération…

 

L’après-midi, il m’emmène à l’écart de la ville visiter la ferme de son grand-père, aujourd’hui décédé, mais qui continue d’être occupé par des membres de la famille et qui leur permet de subvenir en partie à leurs besoins alimentaires. En effet, sur plusieurs hectares, il me montre les plantations de nombreuses variétés d’arbres fruitiers et de plants de légumes. Un paradis pour végétarien !

 

Le soir, c’est de nouveau la fête dans le village bien que le lendemain soit un jour travaillé. On y retrouve donc en majorité des jeunes (ce sont les vacances d’été en Colombie et ceux qui ne travaillent pas ou plus). Là encore, ils ont mis les moyens et les enceintes crachent de la musique dans tout le quartier. Je m’amuse à imaginer le même type de scène improvisé en plein milieu de la rue et les problèmes que cela poserait…

Lundi 26 décembre (et bonne fête à mon frère Etienne)

Pour ma dernière journée à Campeche, Ivan m’emmène dans deux villages qu’il a l’habitude de faire visiter à ses hôtes. Nous prenons deux bus locaux et je me laisse porter par le plaisir d’être avec un local et donc de ne pas avoir à me questionner sur les prix des trajets. Sur le trajet, nous passons par Sabanalarga, la ville voisine de Campeche. Nous y croisons le gouverneur de la province qui vient de finir un speech suite à la livraison de nouvelles motos pour la police.

Ivan m’explique que Campeche est très souvent oublié par le gouverneur et qu’ils ont l’habitude de venir se rappeler à son bon vouloir sous les fenêtres de sa maison.
bus-colombie-attente

En arrivant à Aguada de Pablo, premier village que nous allons visiter dans l’après-midi, le temps semble s’être arrêter. La plupart de ses habitants vivent de la pêche grâce au lac près du village, le plus grand du département. Bien que le rapport au temps soit très différent de manière générale entre la Colombie et la France, depuis le début de mon séjour dans ce pays, il fut néanmoins biaisé.

En effet, je suis resté deux semaines à Bogota, qui comme toute grande ville, connaît une effervescence incroyable et il est parfois bien compliqué de ralentir le rythme. J’ai ensuite passé une semaine à faire le touriste dans le nord de la Colombie, entouré de mes pairs occidentaux aux rythmes quasi-similaires, je n’ai pas vu une grande différence au temps, les locaux se calant sur les touristes en partie. Ensuite à Minca, qui est certes une petite ville mais comme je vivais avec une française, le rythme, là encore, était assez similaire à ce que je connaissais. Mon rapport au temps n’avait donc pas vraiment eu l’occasion de vraiment changer en deux mois en Colombie.

Mais venir à Campeche et passer 3 jours avec Ivan à visiter les alentours fut une toute autre histoire, principalement à Aguada de Pablo, ce qui ne fut pas pour mon déplaisir. Passer du temps à ne « rien » faire d’autres que d’être assis sur une chaise, à discuter et à observer la vie autour de soi, ça a du bon. Accepter de s’ennuyer c’est très difficile pour nous autres occidentaux qui sommes constamment sollicités pour « faire » quelque chose, consommer… Merci la société de consommation ! Nous n’avons pas une minute pour nous tandis qu’ici ils passent des journées entières à ne rien faire d’autre que de socialiser, discuter, observer…

Depuis le temps qu’Ivan amène des touristes dans ce village, il connaît bien évidemment du monde. Nous sommes invités à nous asseoir et je vais passer un peu plus d’une heure autour d’un échange sur nos deux cultures. C’était une de mes expériences les plus intéressantes je crois depuis le début de mon séjour en Colombie. Le foot arrive rapidement sur le tapis mais le sujet est aussi vite écarté quand ils constatent que je n’y connais rien. Après les questions d’usages sur ce à quoi j’occupe mes journées en France, nous discutons de la façon de faire la fête et je leur explique qu’il est délicat de mettre de la musique trop forte chez soi et de surcroît en pleine rue comme ils le font ici ce qui les fait sourire. Puis ils me demandent s’il est possible de devenir propriétaire d’un terrain qui n’est pas le notre. Je ne comprends pas trop la question et c’est Ivan qui sert de traducteur qui m’explique qu’en Colombie, si vous arrivez sur un terrain vierge non habité, que vous construisez une maison et qu’au bout de cinq ans, le propriétaire initial n’est pas venu vous demander de partir (et que vous pouvez prouver cela grâce à deux témoins), vous êtes légalement propriétaire du terrain (et de la maison que vous avez construite dessus). Donc si vous voulez venir habiter en Colombie, vous savez ce qu’il vous reste à faire.

Mais comme toute bonne chose à une fin, nous repartons pour notre deuxième destination, Usiacuri, le village le plus haut du département avec ses 800 mètres d’altitude. En attendant le bus, Ivan me raconte un peu son parcours. Ayant eu les meilleures notes à la sortie du lycée, il a pu bénéficier d’une bourse de l’Etat et étudier trois fois six mois à l’étranger durant son cursus, en France, en Allemagne et aux Etats-Unis. Il parle donc cinq langues (avec la langue locale).

Sur le trajet en bus, je sens que nous montons. En effet, en arrivant à Usiacuri, c’est une brise qui nous accueille, apportant avec elle sa fraîcheur, ce qui est fort agréable. Le village est connu dans les environs pour ses sources thermales donc chacune à des vertus différentes sur l’organisme. Comme il fallait s’y attendre, nous croisons une connaissance d’Ivan, une étudiante à qui il a donné des cours d’anglais, accompagné de ses ami.e.s. Nous passons encore un long moment à discuter et à échanger.

Le soir, je suis de nouveau Ivan chez sa grand-mère pour fêter des anniversaires. Décidément c’est la fête tous les jours à Campeche !

Bilan de ces trois jours

Même si je n’ai pas manqué de dire à Ivan à quel point j’ai apprécié ce noël à Campeche, c’est toujours difficile d’exprimer à quel point cela m’a marqué. J’ai passé des moments simples mais tellement intenses, hors des sentiers battus.

J’ai néanmoins trouvé le côté communautaire assez compliqué à gérer et je pense que j’aurai du mal à vivre longtemps dans ce village. Le fait d’avoir pour obligation morale de dire bonjour à chaque personne que l’on croise même si c’est la 10ème fois de la journée peut sembler au premier abord intéressant d’un point de vue social mais à la longue pesant. Une simple sortie pour acheter quelque chose peut ainsi se transformer en une aventure de plusieurs heures… La pression sociale est énorme et ne pas se conformer à cela c’est risquer de recevoir des plaintes. Comme le disait Ivan avec humour c’est un chemin de croix à chaque fois.

Une autre chose qui m’a marqué mais que j’avais déjà remarqué dans d’autres pays sous les tropiques où la vie se passe principalement à l’extérieur, ce sont les intérieurs des maisons qui sont remplis de meubles mais qui n’ont d’autres fonctions que de remplir l’espace car ils sont peu, voir jamais utilisé : meubles de salon et de salle à manger, chaises, tables, canapés, fauteuil… A tel point que lorsque je me suis assis sur une chaise de la salle à manger pour écrire mon précédent article, Ivan m’a demandé si je pouvais m’asseoir sur une chaise en plastique, les seuls qu’ils utilisent finalement car facile à déplacer entre l’intérieur et l’extérieur.

J’avais aussi des questions sur les barrières présentent sur le devant de la plupart des maisons. Ivan m’a expliqué qu’elles ne sont pas là pour se protéger d’une éventuelle intrusion mais bien pour embellir sa propriété. C’est un signe de richesse, comme le fait de meubler son intérieur.

Encore un grand merci pour ton accueil Ivan !

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