(une nouvelle rencontre durant mon périple en stop dans le Sud de la France, je n’avais pas eu le temps de prendre une photo sur le moment donc vous avez une photo envoyé par Mohamed lui-même)

Qui êtes-vous ?

Je m’appelle Mohamed. Un métier plutôt classique, professeur (de philosophie). On pense qu’enseigner c’est gratifiant mais vu l’orientation de la société, cela questionne pas mal. C’est un peu le mauvais rôle. Ce n’est plus seulement un savoir à transmettre, c’est aussi une éducation à faire. C’est une éducation qui manque dans les foyers, dans les maisons. Mais rencontrer des jeunes et les former c’est toujours une expérience extraordinaire. Avec une responsabilité qui fait peur. C’est assez ambivalent. C’est intéressant mais en même temps ça nous renvoi à notre propre responsabilité parce que chaque jeune que je forme, c’est comme si je me sentais un peu responsable de ce qu’il deviendra plus tard, quel Humain il sera.

Une année j’ai eu des élèves assez brillants qui procédaient de manière très méthodique, qui assimilaient très vite les notions mais en fait je me suis posé beaucoup de questions parce qu’humainement je me demandais ce qu’ils deviendraient. C’était des enfants gâtés, ils se comportaient en consommateurs simples. Ils ne disaient pas bonjour, ils ne disaient pas au revoir. C’était dans un lycée rural où la catégorie socio-professionnelle était assez élevée : des fils de médecins, de chirurgiens. Ils étaient vraiment brillants mais je ne donne pas cher de leur avenir parce qu’humainement parlant c’était de véritables consommateurs. Donc eux me renvoyaient justement à cette idée que j’ai de la société, une société consumériste. Nous ne sommes là que pour prendre et jouir de manière instantanée et pas pour se poser de véritables questions sur le bonheur par exemple. Est-ce que c’est dans la consommation, la jouissance que l’on atteint le bonheur ou est ce que c’est autrement ? Est ce que le bonheur est dans le visage de l’autre ?

Voila à peu près ce que je pourrais dire sur moi-même !

Quel est votre rêve dans la vie ?

C’est un rêve engageant, un rêve éveillé. C’est un rêve à minima. Il y a trop de souffrances dans le monde et ce n’est que dans la construction d’un citoyen éclairé que l’on vraiment peut construire quelque chose d’assez universel qui dépasserait les Nations, les Etats et que l’on pourrait éviter des drames comme il s’en passe actuellement en mer Méditerranée.

Je pense au réveil des consciences. On est entouré de pleins de drames mais pour nous protéger, pour que l’on puisse vivre quand même, nous n’en prenons pas conscience. Parce qu’une conscience trop éveillée elle serait paralysée par l’horreur qui se passe dans le monde. Il y a quand même des enfants qui meurent, qui se retrouvent au fond de la mer Méditerranée, même des bébés.

Cela c’est le résultat direct de la voracité et de l’égoïsme exacerbé du monde actuel. C’est à dire l’absence de considération de l’autre. C’est tout le contraire que tu es en train de faire. Tu vas vers l’autre alors que ce que l’on voit se passer de nos jours c’est plutôt le rejet de l’autre mais surtout un égo surdimensionné : penser à moi et surtout à moi et rien qu’à moi. Chacun tire le drap vers soi et on fait l’autruche.

Quel est votre meilleur souvenir ?

La naissance de ma fille. Elle vient d’avoir 7 ans.

Quelle est la chose la plus folle que vous ayez faite ?

C’est de me rendre compte que la vie est absurde et d’accepter cette absurdité.

(Absurde dans quel sens ?)

Qu’il n’y a pas de sens définitif à la vie qui serait quelque part et que l’on devrait trouver. Et donc c’est folie au sens où c’est accepter la déraison, l’absence de raison à l’existence. Ce n’est pas au sens habituel du terme, la folie clinique par exemple, c’est la folie au sens moral. Je mets de côté l’existence d’une raison ultime à ce que nous sommes, à ce que nous faisons ici. Je me dis que c’est absurde. C’est ça la folie. La raison devient folle quand tu cherches à savoir. J’ai été fou de chercher un sens à la vie mais en même temps cela m’a aidé. J’ai trouvé un sens beaucoup plus simple qui était à ma portée, là juste devant moi : l’Amour ! Mais l’Amour véritable. Un véritable don de soi, regarder les autres et voir que je ne suis pas seul. Je me suis soigné, c’est pour cela que j’ai fait de la philosophie.

(c’est une reconversion ?)

Avant j’étais professeur en sciences physiques et biologie.

Votre journée en un mot ?

« Assez besogneuse », j’y vais, je ne fais pas cours, je vais faire que de la paperasse et des parents à calmer, à rassurer plutôt. Pas très intéressante mais il faut la faire.

(il avait un conseil de classe le soir même)

Et pour finir, c’est quoi votre définition du bonheur ?

(rires) je ne sais pas, je cherche. Ce n’est certainement pas gagner au loto dans tous les cas.

(on est assez d’accord là dessus)

J’en ai fait un devoir donc ce n’est pas bon. On ne peut pas décréter d’être heureux, il faut composer avec les éléments qui nous entourent, qui nous conditionnent. Mais bon par contre il faut une bonne dose d’illusion pour être heureux. Ma définition du bonheur, c’est une idée ! C’est une fin en soi, c’est un but, mais on ne sait pas si on l’atteindra ou pas. Du coup la seule chose qui reste c’est ici et maintenant. L’instant présent ! Etre conscient des instants qui passent, vivre pleinement.

Qu’est ce qu’être heureux ? C’est laisser de côté les questions existentielles et profiter des instants présents. Et puis ma foi accepter aussi la contingence. Quand ça ne va pas, ça ne va pas. Être heureux c’est ne pas être malheureux dans ce cas là.

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